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Le 1% Artistique en France : Guide Complet pour Comprendre et Intégrer l'Art dans l'Espace Public

Introduction

En parcourant la France, il n'est pas rare de tomber nez à nez avec une sculpture monumentale sur le parvis d'un lycée, une fresque colorée dans le hall d'une administration, ou une installation lumineuse surprenante au cœur d'un campus universitaire. Ces rencontres inattendues avec l'art contemporain suscitent souvent la curiosité : comment ces œuvres sont-elles arrivées là? Derrière nombre de ces présences artistiques se cache un mécanisme spécifique, souvent méconnu du grand public mais essentiel à la politique culturelle française : le "1% artistique".

Ce dispositif s'inscrit dans une longue tradition française de soutien public à la création artistique et de volonté de démocratisation culturelle, visant à rendre l'art accessible au plus grand nombre.3 Loin d'être un simple élément décoratif, le 1% artistique représente une politique active d'intégration de l'art dans notre environnement quotidien.

Cet article se propose comme un guide complet pour décrypter le 1% artistique. Nous explorerons son histoire fascinante, son cadre juridique précis, son fonctionnement étape par étape, son impact sur la création et l'espace public, à travers des exemples concrets et sans éluder les débats qu'il suscite. L'objectif est d'offrir une compréhension approfondie de ce dispositif unique, à destination de tous ceux qui s'intéressent à la culture, à l'art public, à l'architecture ou aux politiques culturelles en France.

Aux Origines du 1% Artistique : Définition, Histoire et Ambitions

Qu'est-ce que le "1% Artistique" Exactement?

L'appellation officielle est "obligation de décoration des constructions publiques", mais le terme "1% artistique" s'est largement imposé dans l'usage courant. Il désigne une procédure spécifique de commande publique d'œuvres d'art, intrinsèquement liée au financement de la construction ou de l'extension de bâtiments publics.

Le principe fondamental est simple en apparence mais puissant dans ses implications : il impose aux maîtres d'ouvrage publics (l'État, certaines collectivités, etc.) de consacrer 1% du coût hors taxes de leurs travaux de construction ou d'extension à la commande ou à l'acquisition d'une ou plusieurs œuvres d'art.9 Ces œuvres doivent être spécialement conçues ou choisies pour s'intégrer au bâtiment concerné ou à ses abords. Il est important de distinguer cette obligation légale d'autres formes de commande publique artistique, qui peuvent être initiées volontairement par des entités publiques ou privées en dehors de ce cadre réglementaire spécifique.

Une Histoire Française : De 1951 à Nos Jours

L'histoire du 1% artistique débute en 1951, dans le contexte de l'après-guerre marqué par la Reconstruction et un fort investissement dans l'éducation.1 Initialement, le dispositif concernait principalement les bâtiments relevant du Ministère de l'Éducation Nationale, traduisant une volonté d'intégrer l'art contemporain dans les lieux d'apprentissage et de vie de la jeunesse.14 L'idée était de familiariser les élèves avec la création de leur temps et de participer à l'embellissement de leur cadre quotidien.

Au fil des décennies, le champ d'application s'est progressivement élargi à d'autres constructions de l'État. Une étape cruciale fut franchie avec les lois de décentralisation au début des années 1980 (notamment 1982-1983). Celles-ci ont étendu l'obligation aux collectivités territoriales (communes, départements, régions), mais avec une restriction importante : uniquement pour les constructions relevant de compétences qui leur avaient été transférées par l'État.3 Des figures politiques majeures, comme André Malraux, premier Ministre des Affaires Culturelles, ont joué un rôle clé dans la promotion de l'accès à la culture et, par extension, dans le soutien à des dispositifs comme le 1% artistique.

Depuis sa création, ce mécanisme a permis la réalisation de plus de 12 300 œuvres d'art à travers tout le territoire français, impliquant plus de 4 000 artistes.1 Cette longévité remarquable, traversant plus de sept décennies de changements politiques, sociaux, économiques et artistiques, témoigne de la valeur attribuée à ce dispositif. Il a su s'adapter, notamment en intégrant ses procédures dans le nouveau Code de la commande publique en 2019.

Cette persistance suggère une volonté politique continue 5 et une reconnaissance de sa contribution aux objectifs culturels nationaux , faisant du 1% artistique un outil profondément ancré dans le paysage culturel français, bien au-delà d'une simple mesure conjoncturelle.

Les Objectifs Poursuivis

Le 1% artistique répond à plusieurs ambitions complémentaires :

  1. Soutenir la création contemporaine : C'est l'un des objectifs premiers et constants. Le dispositif offre des opportunités de commandes, souvent d'envergure, aux artistes vivants, contribuant ainsi directement à leur activité économique et au dynamisme de la scène artistique française.2
  2. Intégrer l'art dans l'espace public et le quotidien : En plaçant des œuvres d'art dans des lieux de passage, de travail ou d'étude (écoles, universités, administrations, etc.), le 1% vise à sortir l'art des musées et galeries pour le rendre visible et accessible à tous, au cœur de la vie quotidienne.1
  3. Favoriser la démocratisation culturelle : Il s'agit de sensibiliser un large public, y compris ceux qui sont éloignés des institutions culturelles traditionnelles, à l'art de notre temps. L'objectif est d'éduquer le regard, de susciter la curiosité et d'enrichir le patrimoine culturel commun.2
  4. Créer un dialogue entre art et architecture : Le dispositif encourage la collaboration, ou du moins la confrontation, entre l'artiste et l'architecte, visant une intégration harmonieuse ou signifiante de l'œuvre dans son environnement bâti.13

Le Cadre Légal : Qui, Quoi, Comment?

Comprendre le 1% artistique nécessite de se pencher sur son cadre juridique et réglementaire précis, qui détermine son champ d'application et ses modalités de calcul.

Les Textes Fondateurs à Connaître

Deux ensembles de textes principaux régissent le dispositif :

  1. Le Décret fondateur : Le Décret n°2002-677 du 29 avril 2002 (modifié) reste le texte clé définissant l'obligation elle-même, son champ d'application (qui est soumis à l'obligation, quels types de travaux), et les principes généraux.8 Il a fait l'objet de modifications et de consolidations au fil du temps.9
  2. Le Code de la commande publique : Depuis le 1er avril 2019, les procédures spécifiques de passation des marchés liés au 1% artistique sont intégrées dans le Code de la commande publique. Les articles L2172-2 et R2172-7 à R2172-19 détaillent les étapes de la commande, le rôle du comité artistique, etc..5

En complément, des guides pratiques et des circulaires ministérielles sont régulièrement publiés pour aider les maîtres d'ouvrage et les artistes à comprendre et appliquer correctement ces règles.4

Quelles Constructions Sont Concernées?

L'obligation ne s'applique pas à toutes les constructions publiques. Elle concerne spécifiquement les opérations immobilières suivantes :

  • La construction de bâtiments publics neufs.
  • L'extension de bâtiments publics existants.
  • Les travaux de réhabilitation de bâtiments publics, mais uniquement lorsque ces travaux entraînent un changement d'affectation, d'usage ou de destination du bâtiment. Une simple rénovation ou des travaux d'entretien courant ne déclenchent pas l'obligation.11

Le type de bâtiments concernés est très varié, illustrant la volonté d'intégrer l'art dans de nombreux aspects de la vie publique : établissements scolaires (écoles, collèges, lycées) et universitaires 5, bâtiments administratifs 47, commissariats de police, palais de justice 19, bâtiments des services pénitentiaires 5, gares ou stations de transport 5, équipements culturels divers 47, etc.

Qui Doit Appliquer le 1% Artistique?

Les maîtres d'ouvrage (commanditaires) soumis à cette obligation sont clairement définis :

  • L'État et ses établissements publics : Sont concernés l'État lui-même et ses établissements publics administratifs (EPA). Sont explicitement exclus les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) et les établissements publics de santé.9 L'obligation s'applique aussi lorsque ces entités agissent par l'intermédiaire d'un mandataire.9
  • Les collectivités territoriales : Les communes, départements, régions et leurs groupements sont également soumis à l'obligation.3 Cependant, une restriction juridique importante s'applique : l'obligation ne concerne que les constructions qui relèvent de compétences transférées de l'État aux collectivités après les lois de décentralisation (conformément à l'article L. 1616-1 du Code général des collectivités territoriales).11 Pour les constructions ne relevant pas de ces compétences transférées, les collectivités peuvent appliquer le 1% artistique de manière volontaire.10

Cette distinction liée aux "compétences transférées" introduit une complexité notable dans l'application du dispositif. Elle signifie que l'obligation légale pour une collectivité dépend non seulement de la nature du bâtiment mais aussi de l'historique administratif et juridique de la compétence concernée. Une école primaire (compétence communale ancienne) pourrait ne pas être soumise à l'obligation légale, tandis qu'un collège (compétence départementale transférée) le serait. Cette subtilité juridique, peu intuitive, peut entraîner une application inégale du dispositif sur le territoire et potentiellement freiner son déploiement systématique par les acteurs locaux, même si la voie volontaire reste ouverte.

  • Exemptions : Certaines opérations immobilières de l'État ou de ses établissements publics peuvent être exemptées par arrêté ministériel conjoint (Culture et ministère concerné) si leur nature ne justifie pas une intervention artistique (par exemple, certains bâtiments très techniques ou sécurisés des ministères de la Défense ou de l'Intérieur).9

Comment le Budget est-il Calculé?

Le calcul du montant dédié au 1% artistique suit des règles précises :

  • La règle du 1% : Le montant est égal à 1% du coût prévisionnel hors taxes (HT) des travaux.9
  • Base de calcul : Ce coût prévisionnel est celui établi par le maître d'œuvre (architecte) lors de la remise de l'Avant-Projet Définitif (APD).
  • Ce qui est exclu de la base de calcul : Les dépenses de voirie et réseaux divers (VRD) ainsi que les dépenses d'équipement mobilier ne sont pas prises en compte dans le montant des travaux servant de base au calcul du 1%. Sont également exclues les dépenses liées aux études de géomètre et aux sondages.
  • Ce que le budget du 1% couvre : Le montant calculé doit financer l'ensemble des coûts liés à l'œuvre d'art : la conception et la réalisation par l'artiste (honoraires, matériaux), son acheminement, son installation sur site, les taxes afférentes (TVA), ainsi que les indemnités versées aux artistes dont le projet a été étudié mais non retenu.4 Il couvre aussi les frais de publicité de la procédure.12 Les fondations spéciales nécessaires à l'installation de l'œuvre sont incluses.12 En revanche, le coût des études de maîtrise d'œuvre spécifiques nécessaires à l'intégration technique de l'œuvre dans le bâtiment n'est généralement pas inclus dans ce budget.9
  • Le Plafond : Un plafond est fixé : le montant total alloué au 1% artistique pour une opération donnée ne peut excéder deux millions d'euros.9 (Note: certaines sources mentionnent HT, d'autres TTC 48, mais le principe du plafond est constant).

Ce plafond de 2 millions d'euros a une conséquence directe sur les très grands projets de construction publique. Pour un chantier dont le coût prévisionnel HT dépasse 200 millions d'euros, le budget alloué à l'art sera plafonné à 2 millions, représentant ainsi un pourcentage réel inférieur à 1%. Par exemple, pour un projet de 500 millions d'euros,e 1% artistique l ne représenterait que 0,4% du coût total. Cela traduit un choix politique visant à limiter l'impact financier du dispositif sur les opérations les plus coûteuses, potentiellement au détriment d'une stricte proportionnalité de l'investissement artistique par rapport à l'échelle du projet architectural. L'ambition artistique pourrait ainsi être relativement plus contrainte sur les très grands chantiers que sur des projets de taille moyenne où le 1% s'applique intégralement.

La Mise en Œuvre du 1% Artistique : Un Processus Étape par Étape

La réalisation d'un projet dans le cadre du 1% artistique suit une procédure structurée, impliquant plusieurs acteurs clés et respectant les règles de la commande publique.

Les Acteurs Indispensables

Plusieurs intervenants jouent un rôle essentiel dans le bon déroulement d'un projet de 1% artistique :

  • Le Maître d'Ouvrage (Commanditaire) : C'est l'entité publique (État, collectivité territoriale, établissement public) qui finance et supervise la construction du bâtiment.4 C'est lui qui initie la procédure du 1%, assure la présidence (le plus souvent) et le secrétariat du comité artistique, prend la décision finale sur le choix de l'artiste et du projet, signe le contrat (marché public) avec l'artiste lauréat, et devient propriétaire de l'œuvre réalisée. Il est responsable de l'ensemble de la procédure.
  • Le Maître d'Œuvre (Architecte) : Concepteur du bâtiment, il est membre du comité artistique. Son rôle est crucial pour assurer la bonne intégration technique et esthétique de l'œuvre dans le projet architectural, en collaboration avec l'artiste. C'est lui qui établit le coût prévisionnel des travaux servant de base au calcul du 1%.
  • Le Comité Artistique : Véritable cheville ouvrière consultative du processus.4 Sa mission principale est d'apporter une expertise artistique et de garantir la qualité du projet. Il élabore le programme de la commande artistique (cahier des charges artistique), présélectionne les artistes sur la base de leurs dossiers de candidature, examine les projets soumis par les artistes retenus, et émet un avis motivé au maître d'ouvrage pour l'aider dans son choix final. Sa composition type pour les projets en France inclut : le maître d'ouvrage (ou son représentant, président), le maître d'œuvre, le Directeur Régional des Affaires Culturelles (DRAC) ou son représentant, un représentant des futurs utilisateurs du bâtiment, et plusieurs personnalités qualifiées dans le domaine des arts plastiques (souvent désignées par le maître d'ouvrage et la DRAC). Une composition spécifique est prévue pour les projets hors du territoire national.
  • L'Artiste (ou les Artistes) : Sélectionné(s) à l'issue de la procédure, il conçoit et réalise l'œuvre d'art commandée. Il doit s'agir d'artistes vivants au moment de la commande.24 Ils peuvent être de nationalité française ou étrangère, à condition de respecter leurs obligations sociales et fiscales et de ne pas être sous le coup d'une interdiction de soumissionner à un marché public.21
  • La DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) : Service déconcentré du Ministère de la Culture en région, la DRAC joue un rôle de conseil et de garant de la politique culturelle de l'État.4 Son représentant au sein du comité artistique apporte une expertise sur la scène artistique contemporaine et veille au respect des objectifs culturels et de la procédure.
  • Les Utilisateurs : La présence d'un représentant des futurs usagers du bâtiment au sein du comité artistique vise à assurer une prise en compte de leurs perspectives et à favoriser l'appropriation future de l'œuvre par la communauté qui vivra ou travaillera au quotidien à ses côtés.4

De l'Idée à la Réalisation : Les Étapes Clés

La mise en œuvre d'un projet de 1% artistique suit un cheminement précis, encadré par le Code de la commande publique :

  1. Initiation et Constitution du Comité : La procédure est déclenchée par le projet de construction, d'extension ou de réhabilitation éligible. Le maître d'ouvrage constitue le comité artistique dès la phase d'Avant-Projet Sommaire (APS).
  2. Définition du Programme Artistique : Le comité artistique élabore un programme (parfois appelé cahier des charges artistique) qui précise la nature de l'intervention souhaitée (sculpture, peinture, installation...), l'emplacement envisagé (si déjà défini), les contraintes techniques éventuelles, les intentions et les attentes du commanditaire. Ce programme est ensuite soumis à l'approbation du maître d'ouvrage.
  3. Appel à Candidatures : Une fois le programme validé et l'Avant-Projet Définitif (APD) établi (permettant de fixer le budget du 1%), le maître d'ouvrage lance un appel public à candidatures. La publicité de cet appel (via internet, presse spécialisée, plateformes de marchés publics) dépend du montant estimé de la commande. L'avis doit contenir toutes les informations nécessaires aux artistes : description du projet, budget, modalités de candidature, documents à fournir, critères de sélection, calendrier prévisionnel, nombre d'artistes qui seront invités à remettre un projet, et montant de l'indemnisation pour les projets non retenus.
  4. Présélection des Candidats : Le comité artistique examine les dossiers de candidature reçus dans les délais. Il évalue les références artistiques, la démarche des candidats et leur adéquation potentielle avec le projet, en se basant sur les critères annoncés dans l'appel. Il établit une liste restreinte (shortlist) d'artistes (généralement entre 3 et 5) qui seront invités à développer une proposition artistique spécifique.4 Une attention à la parité et à la diversité des expressions artistiques est encouragée.4
  5. Phase d'Étude et Développement des Projets : Les artistes présélectionnés sont invités à élaborer une étude artistique et technique détaillée de leur proposition (maquette, esquisses, descriptif technique, budget prévisionnel détaillé). Une visite du site et une réunion d'information avec le maître d'ouvrage et l'architecte peuvent être organisées pour affiner leur compréhension du contexte.
  6. Sélection du Projet Lauréat : Le comité artistique se réunit à nouveau pour examiner les projets remis. Il peut organiser des auditions pour que les artistes présentent leur démarche. Après délibération (souvent à huis clos), le comité formule un avis motivé et propose un ou plusieurs projets au maître d'ouvrage.
  7. Décision Finale et Notification : Le maître d'ouvrage prend la décision finale en s'appuyant sur l'avis du comité artistique. Ce choix doit être motivé. Tous les candidats (présélectionnés ayant remis un projet) sont informés de la décision. Les artistes non retenus à ce stade reçoivent une indemnité pour le travail fourni, sauf en cas d'insuffisance manifeste de leur proposition.
  8. Contractualisation : Un marché public est formellement conclu entre le maître d'ouvrage et l'artiste lauréat. Ce contrat (acte d'engagement) précise les modalités de réalisation, d'installation, le calendrier, les conditions de paiement, la cession des droits de propriété intellectuelle (droits patrimoniaux), les responsabilités en matière d'entretien et de conservation, etc..
  9. Réalisation et Installation : L'artiste procède à la création de l'œuvre, en dialogue avec le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre pour les aspects techniques et d'intégration.
  10. Réception et Inauguration : Une fois l'œuvre installée, une réception formelle est organisée pour constater sa conformité au contrat. Une inauguration publique marque souvent l'achèvement du projet et sa présentation à la communauté.

Il ressort de ce processus que le comité artistique, bien que central dans l'évaluation et la recommandation, détient un pouvoir essentiellement consultatif. La décision finale appartient juridiquement au maître d'ouvrage. Cette structure organisationnelle reflète un équilibre : elle assure l'apport d'une expertise artistique qualifiée via le comité 18, tout en maintenant la responsabilité ultime de la dépense publique et du choix final entre les mains de l'entité publique commanditaire. Celle-ci peut ainsi arbitrer entre la recommandation artistique et d'autres considérations (budgétaires, techniques, d'acceptabilité publique, voire politiques), dans le respect des règles de la commande publique.

Impact et Bénéfices : Pourquoi le 1% Artistique est-il Important?

Au-delà de son cadre juridique et procédural, le 1% artistique a des effets concrets et significatifs sur la création contemporaine, l'espace public et l'accès à la culture en France.

Un Soutien Vital pour la Création Contemporaine et les Artistes

Le 1% artistique constitue une source de financement et de commandes non négligeable pour les artistes plasticiens vivant et travaillant en France ou à l'étranger.2 En générant un flux régulier de projets, il contribue à la vitalité économique du secteur de la création contemporaine et offre aux artistes des opportunités de réaliser des œuvres, parfois de grande échelle ou techniquement ambitieuses, qu'ils n'auraient pas pu financer autrement. Le nombre élevé d'artistes (plus de 4 000) ayant bénéficié du dispositif au fil des décennies témoigne de son impact direct sur leurs carrières.2

Ce mécanisme permet également d'offrir une visibilité accrue aux artistes, leurs œuvres étant exposées durablement dans des lieux publics.2 Il favorise en outre la diversité des expressions artistiques, les commandes pouvant porter sur une large gamme de médiums : sculpture, peinture, mosaïque, tapisserie, installation, œuvre numérique, design de mobilier, aménagement paysager, photographie, etc..1

L'Art Intégré au Quotidien : Embellir l'Espace Public

L'un des impacts les plus visibles du 1% artistique est l'intégration de l'art contemporain dans des environnements du quotidien.1 En sortant des musées et des galeries, les œuvres viennent à la rencontre des citoyens dans leurs lieux de vie, de travail ou d'étude. Cette présence artistique contribue à enrichir et qualifier esthétiquement les espaces publics et les bâtiments.3

De nombreux projets sont conçus en dialogue étroit avec le contexte architectural, historique ou social du lieu d'implantation.16 Cette approche in situ permet de créer des œuvres uniques qui renforcent l'identité d'un lieu, suscitent la réflexion ou proposent une nouvelle lecture de l'environnement. L'art devient ainsi un élément constitutif de l'expérience de l'espace public.

Vers une Démocratisation de l'Art et un Patrimoine Partagé

En rendant l'art contemporain accessible au plus grand nombre, sans barrière de prix ou de connaissance préalable, le 1% artistique participe activement à la démocratisation culturelle.2 Il vise à familiariser les citoyens, et notamment les plus jeunes via les établissements scolaires et universitaires, avec les formes et les langages de la création actuelle.15 Des initiatives spécifiques comme les "Journées du 1% artistique" sont d'ailleurs organisées pour valoriser ce patrimoine et encourager sa médiation auprès des publics scolaires et étudiants.8

Au fil des décennies, l'accumulation des œuvres issues de ce dispositif a constitué, de manière peut-être initialement non planifiée à cette échelle, un immense patrimoine artistique disséminé sur tout le territoire.3 Cette "collection à ciel ouvert" 19, ce "patrimoine de proximité" 25, représente un témoignage unique de l'évolution de l'art en France depuis le milieu du 20e siècle. La prise de conscience de l'ampleur et de la valeur de ce patrimoine dispersé est relativement récente. Contrairement aux collections muséales, ces œuvres sont gérées par une multitude de propriétaires (État, régions, départements, communes, universités...), intégrées à des bâtiments aux fonctions diverses et soumises aux aléas de l'espace public (climat, usages, rénovations).8 Cela pose des défis considérables en termes d'inventaire, de conservation, de restauration et de valorisation à long terme, nécessitant des stratégies spécifiques qui dépassent le cadre de la simple commande initiale. Des efforts de cartographie et d'étude émergent pour mieux connaître et gérer cet héritage singulier.

Sur le plan social, l'art public peut également jouer un rôle en stimulant le dialogue, en renforçant le sentiment d'appartenance ou en contribuant au bien-être des usagers. Certains projets intègrent même des dimensions participatives, associant les habitants ou les usagers au processus de création.

Le 1% Artistique en Exemples : Un Tour de France Artistique

Pour illustrer concrètement la richesse et la diversité des réalisations issues du 1% artistique, voici quelques exemples variés, piochés parmi les milliers d'œuvres créées depuis 1951. Cette sélection n'est bien sûr pas exhaustive mais vise à montrer l'étendue des styles, des époques et des contextes.

  • Exemple 1 : Un ensemble historique emblématique - Campus Jussieu (Université Pierre et Marie Curie, Paris 5e)
  • Artistes & Œuvres: Notamment Jean Arp, Alexander Calder, Victor Vasarely, et d'autres grands noms de l'art moderne et contemporain.
  • Années: Principalement années 1960-1970, lors de la construction de la faculté des sciences.
  • Description: Sous l'impulsion d'André Malraux, la décoration du campus a été confiée à des artistes majeurs. Leurs œuvres (sculptures, mosaïques, peintures murales) sont intégrées à l'architecture moderniste du site, créant un dialogue fort entre art et bâtiment. C'est un exemple phare de la volonté politique de l'époque d'associer création contemporaine et grands projets publics.17 Alexander Calder a également réalisé d'autres œuvres pour des campus universitaires, comme Stabile à Tours ou La Cornue à Grenoble.13
  • Exemple 2 : L'art monumental dans un lycée - Lycée Jean Mermoz, Montpellier
  • Artistes & Œuvres: François Rouan, "Sans titre" (1971) et Marino Di Teana, "Hommage à Laurent le Magnifique" (1972).
  • Années: 1971-1972.
  • Description: Ce lycée abrite deux œuvres emblématiques. Celle de Rouan est une vaste composition murale (210 m²) en mosaïque de pâte de verre, longtemps masquée en partie par des casiers et récemment redécouverte. Celle de Di Teana est une sculpture-signal monumentale en acier de 15 mètres de haut, restaurée en 2015. Ces œuvres témoignent de l'ambition de certaines commandes du 1% artistique dans les établissements scolaires.50
  • Exemple 3 : La création contemporaine dans les Archives Nationales - Site de Paris
  • Artiste & Œuvre: Evariste Richer, « Les Métamètres » (2022).
  • Année: 2022.
  • Description: En référence au mètre étalon conservé aux Archives, l'artiste a conçu trois sculptures en marbres polychromes gradués, installées en façade. Leur taille est indexée sur la hauteur des bâtiments, instaurant un dialogue subtil entre l'œuvre contemporaine, le patrimoine historique et l'architecture du lieu.47
  • Exemple 4 : L'art participatif et le design dans un quartier - Maison de quartier Pierre-Sémard, Saint-Denis
  • Artiste & Œuvre: Marie Dessuant, « La collection 22 » (2014).
  • Année: 2014.
  • Description: Il s'agit d'un ensemble de mobilier (chaises, tables, tabourets) conçu spécifiquement pour l'espace de convivialité de la maison de quartier. Point notable, ce mobilier a été fabriqué localement en partenariat avec des élèves menuisiers et ébénistes d'un lycée professionnel voisin, alliant ainsi commande artistique, design, production locale et projet pédagogique.53
  • Exemple 5 : Un projet cinématographique au collège - Collège Dora Maar, Saint-Denis/Saint-Ouen
  • Artiste & Œuvre: Eric Baudelaire, « Un film dramatique » (2015-2019).
  • Année: 2015-2019.
  • Description: Cet exemple illustre l'originalité que peut prendre le 1% artistique. Plutôt qu'une œuvre plastique pérenne, l'artiste a mené un projet cinématographique sur quatre ans avec un groupe d'élèves du collège, documentant leur quotidien et leurs réflexions. Le film lui-même est devenu l'œuvre issue du 1%, remportant même le prestigieux Prix Marcel Duchamp. Cela montre la flexibilité du dispositif à intégrer des formes d'art moins traditionnelles.54

2015-2019

Collège Dora Maar (Collège, Saint-Denis/Ouen)

Film, Participatif

Ce tableau synoptique met en évidence la variété considérable des projets financés par le 1% artistique, tant en termes d'artistes et de styles que de localisation géographique, de type de bâtiment et de médium artistique utilisé.

Regards Critiques : Débats et Limites du Dispositif

Malgré ses succès et sa longévité, le 1% artistique n'est pas exempt de critiques et fait l'objet de débats récurrents concernant son fonctionnement, son impact réel et sa pérennité.

Les Défis de la Conservation et de l'Entretien

L'un des problèmes majeurs concerne le devenir des œuvres une fois installées. La responsabilité de la maintenance et de la conservation incombe au maître d'ouvrage, c'est-à-dire au propriétaire du bâtiment.8 Or, il n'existe pas de règles juridiques nationales claires ni de financements systématiquement dédiés à cet entretien sur le long terme.27 En conséquence, de nombreuses œuvres, notamment celles situées en extérieur et exposées aux intempéries ou au vandalisme, souffrent de dégradations.27 Parfois, elles sont simplement oubliées, mal comprises, voire masquées par des aménagements ultérieurs.27 La restauration, lorsqu'elle est entreprise, peut s'avérer coûteuse.9 Ce manque de suivi pose la question de la pérennité de ce patrimoine et du respect du droit moral de l'artiste, qui doit être informé de toute modification ou déplacement de son œuvre.4 Des actions continues de médiation sont souvent nécessaires pour maintenir l'intérêt et la compréhension des œuvres.4

L'Intégration Artistique : Entre Harmonie et Contraste

La question de l'intégration de l'œuvre dans son environnement architectural et social est également source de débats. Si l'objectif est souvent de créer une "synthèse des arts", le résultat n'est pas toujours perçu comme harmonieux. Des critiques ont pointé du doigt des œuvres jugées peu en adéquation avec le bâtiment, ou des choix esthétiques contestables, parfois qualifiés d'"art de fonctionnaires".15 La réception par le public et les usagers n'est pas non plus toujours positive, certaines œuvres pouvant être incomprises ou rejetées.4 De plus, l'évolution des bâtiments (rénovations, changements d'usage, démolitions) pose la question du devenir d'œuvres conçues spécifiquement pour un lieu donné, qui risquent de devenir "déconnectées" de leur contexte originel.29

Points de Vigilance et Perspectives d'Évolution

Le processus de sélection lui-même peut faire l'objet de critiques, portant sur la composition des comités artistiques, la transparence des choix ou le risque de favoriser des artistes établis ou des propositions jugées moins risquées.4 La pertinence à long terme des œuvres choisies est aussi un enjeu.

Les contraintes budgétaires sont également mentionnées. Si le 1% est un seuil, il peut représenter un budget modeste pour de petits projets, limitant les possibilités artistiques. Inversement, le plafond de 2 millions d'euros sur les très grands projets interroge sur la proportionnalité de l'investissement artistique à grande échelle (Insight 3).

Enfin, le périmètre d'application du dispositif fait débat. Certains plaident pour son extension, par exemple en supprimant la restriction liée aux compétences transférées pour les collectivités locales, ou en l'élargissant (sur une base volontaire ou obligatoire) à certains projets privés, comme l'a fait la ville de Montpellier par une initiative locale distincte.1 Historiquement, des voix se sont élevées tant pour élargir que pour restreindre son champ d'application.29

Au cœur de ces débats se trouve une tension inhérente au dispositif : concilier l'ambition artistique, par nature subjective et évolutive, avec les cadres rigides et les exigences de transparence, de concurrence et de procédure de la commande publique. Naviguer entre la liberté de création et la rigueur administrative est un défi constant pour tous les acteurs impliqués, comme en témoigne la nécessité de publier régulièrement des guides pratiques pour clarifier les procédures.

  1. Le 1% artistique en ville, ça donne quoi ? - Demain La Ville - Bouygues Immobilier, consulté le avril 19, 2025, https://www.demainlaville.com/le-1-artistique-en-ville-ca-donne-quoi/
  2. 1 % artistique, France - atlasmuseum, consulté le avril 19, 2025, https://atlasmuseum.net/wiki/(1_%25_artistique,_France)
  3. Public Factory : Développer le concept du 1% artistique dans les commandes publiques de la Métropole de Lyon, consulté le avril 19, 2025, https://www.sciencespo-lyon.fr/wp-content/uploads/2024/06/soutien-a-la-filiere-culturelle-et-creative-developper-le-concept.pdf
  4. Le 1 % artistique et la commande publique - Ministère de la Culture, consulté le avril 19, 2025, https://www.culture.gouv.fr/Media/medias-creation-rapide/guide-commande-1-artistique.pdf
  5. Le 1% artistique | Ministère de la Culture, consulté le avril 19, 2025, https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/arts-plastiques/commande-artistique/Le-1-artistique
  6. Le 1% artistique | Ministère de la Culture, consulté le avril 19, 2025, https://www.culture.gouv.fr/thematiques/arts-plastiques/commande-artistique/Le-1-artistique
  7. Le 1% artistique - Article - Atlas de l'architecture et du patrimoine, consulté le avril 19, 2025, https://patrimoine.seinesaintdenis.fr/Le-1-artistique-126
  8. 1% artistique | Ministère de la Culture, consulté le avril 19, 2025, https://www.culture.gouv.fr/regions/drac-grand-est/services/Creation/Arts-visuels/soutien-a-la-creation-contemporaine/1-artistique
  9. Décret n°2002-677 du 29 avril 2002 relatif à l'obligation de ..., consulté le avril 19, 2025, https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000409144
  10. Commande publique et 1% artistique - | Cnap, consulté le avril 19, 2025, https://www.cnap.fr/ressource-professionnelle/produire-vendre-diffuser/commande-publique-et-1
  11. Circulaire du 16 août 2006 relative à l'application du décret n° 2002-677 du 29 avril 2002 relatif à l'obligation de décoration des constructions publiques, modifié par le décret n° 2005-90 du 4 février 2005 - Légifrance, consulté le avril 19, 2025, https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000792602
  12. La procédure du « 1 % artistique - la Lettre des Finances locales, consulté le avril 19, 2025, https://www.lalettredesfinanceslocales.com/article-la-procedure-du-1-artistique-198184.html